
1967, Acrylique sur toile, 2,42×2,43m, Tate Gallery, Londres
L’artiste : David Hockney, expérimentateur artistique
David Hockney est l’un des artistes contemporains les plus reconnus au monde, depuis les années soixante.
On le rattache au mouvement Pop’art des années soixante et soixante-dix, et il est surtout réputé pour ses tableaux de piscines californiennes, ses immenses double portraits et ses collages photographiques, mais c’est un artiste touche à tout qui n’a cessé, tout au long de sa carrière, d’expérimenter les médiums, les formes et les techniques, allant jusqu’à utiliser les outils numériques d’aujourd’hui.
Son œuvre se caractérise par son utilisation de la couleur, l’importance accordée à la lumière et sa transgression des règles conventionnelles de la perspective. Elle est ponctuée, très souvent, d’échos autobiographiques (lieux de vie, homoérotisme, portraits de proches…).
David Hockney est un innovateur inlassable, qui expérimente la peinture acrylique dans les années soixante, le Polaroïd dans les années soixante-dix, et l’art numérique aujourd’hui. C’est, enfin, un illustrateur, un créateur de décors scéniques, un critique d’art et un écrivain de talent.
Artiste polyvalent, influencé par Warhol, Picasso et très au courant des avant-gardes européenne et américaine, David Hockney rencontre rapidement le succès et est devenu l’artiste anglais le plus célèbre de sa génération.
Il vit aujourd’hui en France où il continue d’expérimenter et de créer.
L’œuvre : une promotion de la Californie… et de la peinture
Avant d’entrer dans le vif du sujet et pour bien analyser cette œuvre, il faut préciser qu’elle est la troisième d’une série, l’aboutissement d’une représentation symbolique de la Californie.

A little Splash, 1966
Avant A Bigger Splash, David Hockney peint “A little Splash”, puis “The Splash” ; on trouve dans ces deux toiles peintes en 1966 un élément qui disparait dans celle de 1967 que nous étudions ici : le paysage au loin. On peut aussi signaler plusieurs éléments de perspective qui servent à rendre compte de la profondeur de la scène : les obliques du toit ou du parterre de cactus, qui font écho à celle du plongeoir.

A Splash, 1966
En gardant en tête ses éléments, concentrons-nous maintenant sur « A Bigger Splash ». On peut tout de suite repérer une « radicalisation » de la représentation dans cette troisième proposition du même sujet, même si les éléments principaux restent les mêmes.

On retrouve le large cadre blanc (la toile gardée vierge, procédé qui rappelle la pratique du polaroïd qu’affectionne l’artiste), la composition en trois plans (piscine avec plongeoir et éclaboussure, puis paysage architectural moderniste, et enfin bande de ciel dont le bleu fait écho à celui de la piscine). Néanmoins, tous les éléments, toutes les déclarations picturales, sont ici « bigger » – plus grands, plus poussés.
La profondeur n’est ainsi plus rendue que par l’oblique du plongeoir, et dans une infime mesure, par celui de la chaise pliante. Cela a pour effet d’aplanir la représentation et de brouiller considérablement la distance entre l’image représentée (le réalisme d’un paysage en trois dimensions) et la peinture (un objet en deux dimensions). Ce n’est pas tant ce qui est représenté qui importe que l’objet pictural, le comment cela est représenté.
L’architecture est aussi plus moderne, et plus hexagonale, et il n’y a plus de paysage lointain en arrière-plan, seulement le bleu du ciel, homogène. Cela réduit la palette à trois bandes horizontales de couleurs (deux bleues, et une en nuances de roses-beiges). Des éléments verticaux, très fins, viennent appuyer cette orthogonalité de la scène.
Le seul élément perturbateur est donc l’énorme éclaboussure, le sujet de la toile (« splash »).

Dans cette œuvre, David Hockney fait disparaître le personnage que l’on voit généralement dans ses peintures de piscine. Il ne reste de lui que cette trace spectaculaire : l’éclaboussure. Tout rappel d’une présence humaine dans la toile suit cette règle de l’absence : la chaise vide, l’architecture inoccupée ou qui se devine simplement dans le reflet de l’immense baie vitrée… Cela donne une impression de mystère, et renforce la sensation d’un moment figé ; dans un instant, quelqu’un va apparaître et briser l’enchantement du moment capturé. David Hockney lui-même s’amusait du fait qu’il avait représenté un instant qui en réalité ne dure guère plus que deux secondes, et que cela lui avait pris deux semaines de travail !
Ainsi, A Bigger Splash nous donne à voir, nous rend vivant, la magie de la peinture : par le travail et l’expérimentation de l’artiste, nous pouvons contempler indéfiniment la beauté et la pureté de l’instant, en admirant la virtuosité du peintre.
En effet, plastiquement, cette éclaboussure d’eau représentée est littéralement une éclaboussure de peinture, réalisée à partir de plusieurs pinceaux et brosses. Dans la toile, David Hockney fait cohabiter deux tendances picturales : les damiers colorés en aplats abstraits de Mondrian et les éclaboussures expressionnistes de Pollock (même s’il n’utilise pas la technique du dripping de ce dernier – soit la projection de peinture aléatoire sur la toile).
On trouve donc deux sujets en un dans A Bigger Splash. En premier, celui de la Californie, dont David Hockney donne ici une image promotionnelle en en représentant tous les poncifs (soleil et lumière crue, architecture, palmiers, piscine et clin d’œil au cinéma à travers la chaise pliante qui semble sortie d’un tournage hollywoodien), mais avec une touche d’ironie qu’on trouve souvent chez le peintre, puisqu’il fait disparaitre l’homme de ce décors idyllique.
Ensuite, il pose et semble résoudre le débat entre rigueur géométrique des aplats colorés (Rothko, Mondrian), et vivacité de la peinture expressionniste en « éclaboussures » sur la toile (Pollock).
Le tout dans une radicalisation finale par rapport aux deux premières toiles de la série ; A Bigger Splash est plus grande, plus orthogonale, plus épurée, plus vive… Définitivement Bigger.

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